La Mer, a new art fair in Marseille (extended review)

Below the extended version of my latest article which appeared on Le Quotidien de L’Art.
Il y a encore quelques années, la proposition culturelle dans la seconde ville de France en matière d’arts plastiques était extrêmement limitée : quelques lieux informels, des programmations éparses, un public principalement local et un marché de l’art quasi-absent.
Mais, depuis Manifesta en 2020 et grâce au travail acharné d’espaces créatifs comme la Friche Belle de Mai, et des muséums tel quel le MUCEM, le [mac] et le Frac, les propositions se sont faites de plus en plus audacieuses, attirant un public à la fois national et international. Les galeries indépendantes, plus d’une vingtaine aujourd’hui, quadrillent le centre-ville dont celles d’artistes qui ont ouvert leurs ateliers ici à Marseille, après la pandémie.
La vivacité grandissante de cette scène n’a pas échappée à l’entrepreneur culturelle Becca Hoffman de l’association 74Arts, qui organise des foires itinérantes, de Aspen à Singapour. L’Edition marseillaise de 74Arts s’appelle « La Mer, » et a l’ambition de relier directement les studios d’artistes marseillais aux grandes galeries françaises ainsi qu’aux collectionneurs internationaux. « On pense que Marseille a beaucoup changée au cours des dernières années » note Becca Hoffman, qui vit entre New York et Antibes. « Après le Covid, on a vu beaucoup de nouvelles fondations et des collectionneurs qui ont déménagés ici. Marseille, c’est l’avenir. Il y a une énergie créative qui est ouverte à tout le monde, mais surtout au Méditerranéen. »
« La Mer » a lieu à l’Hôtel des Bords de Mer, près de la première plage urbaine de la Ville, les Catalans et s’adresse à un diffèrent morceau de marché, par rapport aux deux autres foires qui ont lieu à Marseille : Art-o-rama à la Friche et PARÉIDOLIE, le salon international du dessin contemporain à Marseille.
« Il y a beaucoup de collectionneurs à Marseille et dans le Sud de la France, mais ils vont tous à Paris pour acheter des œuvres », constate Armelle Dakuo, commissaire d’exposition avec Jonas Steinberg et Jessica Levy et qui a posé ses valises ici après avoir vécu entre Casablanca, Dakar et Paris. « Notre but est de montrer la richesse du panorama marseillais et de faire sortir ces acteurs de leur zone de confort afin de les relier entre eux. »
Face à l’été européen, le calendrier est stratégique : la foire se tient du 2 au 6 juillet, juste après Art Basel et juste avant les Rencontres d’Arles. « Le 4 juillet, c’est une semaine de fête pour les Américains et il y a beaucoup de gens qui viennent déjà en vacances », précise Hoffman. « On a reçu un retour très positif de collectionneurs de Paris, de la région et même de Marseille. » Pourtant, l’enjeu n’est pas seulement de drainer un public international, mais aussi de dialoguer avec le territoire dans la mesure du possible.
Bien que l’hôtel dispose de petites chambres et de couloirs parfois trop étroits pour accueillir les travaux des artistes, l’effet d’avoir celles-ci exposées directement devant les grandes fenêtres face à la mer, offre une expérience immersive au spectateur. Les œuvres s’intègrent soudainement au paysage, devenant de fascinants objets trouvés sur la plage.
Dix-neuf espaces – douze pour les galeries internationales comme Casterline, Goodman Gallery (Aspen,USA), IRLGallery (NewYork,USA), Gallery Nosco, (Brussels,Belgium), and Galerie Véronique Rieffel (Paris, France,) et sept pour les talents basés dans le Sud tels que Malika Kiasuwa, Jean-Baptiste Sauvage, Frédéric Gauthier ou Zineb Mezzour – ont été aménagés, avec « un parti pris scénographique fort : moins d’œuvres, pour mieux les mettre en valeur » résume Armelle Dakouo, «en limitant le nombre d’œuvres par espace, nous donnons le temps au public de les regarder, de les comprendre et d’établir un lien intime avec l’artiste. »
Les médiums sont variés : de la céramique contemporaine à la photographie argentique, en passant par le béton sculpté, la vidéo immersive ou encore l’installation sonore. On retrouve, par exemple sur la terrasse chez la galerie Lelong Paris, des sculptures par Marion Vebroom qui représentent une hybridation de cultures, une ode à la couleur de la Méditerranée et à la culture de l’échantillonnage, tandis que la curatrice Karima Célestin propose un accrochage resserré de vidéos, photographie et cartes sur le thème des frontières maritimes, et la tension entre l’homme et l’élément marin.
Dans le couloir au premier étage, la série photographique « Périgée au Frioul », capture les regards. C’est le travail de l’artiste Sébastien Normand, réalisé sur les îles du Frioul juste en face de Marseille, entre 2012 et 2017. « Périgée, c’est quand la Lune est au plus proche de la Terre. J’ai réalisé ces images pendant les nuits de pleine lune, avec des poses longues de cinq à six heures, à la chambre argentique », explique-t-il.
« C’était une manière de résister à l’accélération : des images rares, très lentes, que l’œil ne peut pas saisir seul. » Cette série fait écho au contraste entre la masse géologique et la trace éphémère de l’homme. « On y perçoit des lumières, un bateau, un avion. Mais tout cela paraît minuscule, presque insignifiant à l’échelle du temps géologique. »
En parallèle, une programmation qui comprend des visites d’ateliers dans le Panier, Longchamp et la Friche Belle de Mai : Armelle Dakuo a passé des mois à arpenter la ville pour se familiariser avec les pratiques locales. « Il y a une richesse foisonnante, mais pas encore un réseau structuré, » raconte-t-elle. « Mon travail a commencé par une série de visites, pour comprendre les pratiques avant de les mettre en lumière. »
Parmi les ateliers ouverts, celui de Zineb Mezzour, artiste suisse-marocaine, se distingue par sa céramique organique et ses peintures à l’encre qui reprennent les profondeurs marines tout en représentant des fractales, des figures géométriques qui se retrouvent partout dans la nature. « J’ai déménagé à Marseille parce que j’avais besoin de lumière, d’espace et de ce dialogue entre terre et mer qui inspire mon travail », confie-t-elle.
D’autres collectifs ont investi la rue Clovis-Hugues et le boulevard de la Libération, transformant ateliers et friches en lieux hybrides de diffusion et de résidence. La Friche Belle de Mai, elle, continue d’abriter les ateliers Lautaud, où se croisent arts numériques, performance et recherches transdisciplinaires. L’aspect multiculturel qui caractérise Marseille et les liens entre l’Afrique du Nord et le Maghreb, sont mis en avant dans le travail de nombreux artistes.
Même si le projet de 74Arts ne se répètera pas à Marseille, mais dans d’autres villes du sud de la France, on espère que cette foire aura donné un boost à la scène Marseillaise, et qu’elle aura contribué à connecter les différents créateurs de la ville, en en faisant un lieu incontournable pour les amants de l’art.
Il existe une œuvre qui résume tout à fait l’esprit de cet événement, il s’agit d’une pièce de Clay Apenouvon, exposée à l’entrée du salon : un film plastique noir et une couverture de survie sont appliqués sur une toile, lui donnant un rendu à la fois lisse et accidenté, évoquant une mer agitée, illuminée par un éclat lunaire ou le reflet d’un phare. Notre vision de la mer est symboliquement reliée à la couleur bleue, mais ici apparaît noire, grise, profonde.
L’artiste, originaire du Togo, crée un espace mouvant et abstrait qui devient alors un message politique, étant donné son utilisation du matériel utilisé pour sauver les naufragés. Finalement, même dans le cadre d’un salon sophistiqué et lumineux comme « La Mer », l’art à Marseille ne peut s’empêcher d’être politique et militant, caractérisant la beauté propre à cette ville.
« Marseille a tant à offrir », conclut Armelle Takuo. « Sa capacité à réconcilier héritage migratoire, enracinement méditerranéen et ouverture globale en fait un laboratoire unique. Il est temps que le reste du monde prenne le large pour venir la découvrir. »